« Le procès en diffamation du siècle », comme l’a qualifié le New York Times, n’aura pas lieu. Et pour cela, la chaîne américaine Fox News paiera 787,5 millions de dollars (718 millions d’euros environ) à l’entreprise de machines de vote électronique Dominion, afin de ne pas passer devant les tribunaux à propos de sa couverture controversée de l'élection présidentielle de 2020 aux Etats-Unis.
« Nous sommes heureux d’être parvenus à un règlement de notre différend avec Dominion Voting Systems », a déclaré, dans un communiqué, la chaîne préférée des conservateurs américains, peu après l’annonce, mardi 18 avril, d’un accord de dernière minute entre les parties par le juge qui devait présider le procès devant une cour supérieure de l’Etat du Delaware.
Avant même les débats, la procédure avait donné lieu à un déballage embarrassant pour Fox News, avec la publication d’échanges de courriels ou de SMS montrant que des vedettes de la chaîne, et même le grand patron, Rupert Murdoch, ne croyaient guère, en novembre 2020, au scénario d’une élection truquée, pendant que les accusations faisaient florès à l’antenne.
« Les mensonges ont des conséquences », a assuré l’avocat de la société Dominion, Justin Nelson, en annonçant publiquement le fameux montant que Fox News a accepté de verser. L’entreprise qu’il défend réclamait au départ 1,6 milliard de dollars, soit plus du double de ce qu’elle touchera.
John Poulos, le patron de Dominion, a déclaré que Fox News avait « admis avoir raconté des mensonges » qui ont « causé de dégâts énormes à mon entreprise, nos employés et nos clients ». « Rien ne peut réparer cela », a-t-il ajouté.
Rupert Murdoch ne passera pas à la barre
La chaîne a dit, de son côté, « prendre acte d’une décision de la cour jugeant fausses certaines affirmations concernant Dominion », alors que le juge avait déclaré dans une ordonnance du 31 mars qu’il était « clair comme de l’eau de roche qu’aucune affirmation sur Dominion lors de l’élection de 2020 [n’était] vraie ».
Cet accord évite à Rupert Murdoch, 92 ans, dont Fox News est la chaîne-phare de l’empire médiatique, la perspective de devoir peut-être témoigner à la barre. La sélection du jury avait pris fin mardi et les débats devaient commencer dans la foulée.
L’entreprise Dominion, dont les machines fonctionnaient dans vingt-huit Etats pendant la présidentielle remportée par Joe Biden, était la bête noire de la garde rapprochée de Donald Trump, accusée à longueur d’antenne et sans preuve d’avoir servi à truquer le scrutin. Nombre d’électeurs de Donald Trump croient encore aujourd’hui que l’élection leur a été volée, et le paroxysme de cette contestation a été atteint le 6 janvier 2021, quand des milliers de ses partisans ont attaqué le Capitole, cœur de la démocratie américaine, pour bloquer la certification des résultats du scrutin de novembre 2020.
Si le dossier judiciaire était jugé solide, l’entreprise devait encore établir une volonté délibérée de mentir chez Fox News et le jury devait se prononcer à l’unanimité pour une condamnation.
Liberté d’expression
Le procès était très attendu aux Etats-Unis, où il était vu comme un test pour les limites de la liberté d’expression, garantie par le premier amendement de la Constitution, tout autant que pour la lutte contre la désinformation. Incontournable dans le camp conservateur mais régulièrement accusée de se faire l’écho de théories conspirationnistes, Fox News jouait gros et voulait faire du procès un cas emblématique de la liberté de la presse. Pour la chaîne, il était légitime de donner la parole au camp Trump quand il contestait le vote et « essentiel pour la recherche de la vérité » de laisser s’exprimer toutes les parties.
Mais Dominion s’appuyait sur les discussions internes pour soutenir que Fox News mentait à dessein, pour ne pas perdre ses téléspectateurs acquis à Donald Trump. Un « truc vraiment fou. Et dommageable », écrivait ainsi, en novembre 2020, Rupert Murdoch à la patronne de Fox News, Suzanne Scott, à propos des accusations trumpistes de fraudes.
« Il faut la virer », disait aussi l’une des vedettes de la chaîne, Tucker Carlson, en parlant d’un tweet d’une journaliste de Fox News qui balayait les accusations de fraude. « Cela nuit considérablement à l’entreprise. Le cours de l’action est en baisse. Ce n’est pas une blague », ajoutait-il. Fox News accusait Dominion d’avoir procédé à une sélection tronquée et biaisée des messages.
Source : Le Monde avec AFP, 19 avril 2023.